3 – L’expérience des chercheur.e.s

Quatre chercheur.e.s ont débuté ce projet au sein de l’équipe EFIS1. Les compétences complémentaires présentes au sein de l’équipe ont permis de voir et d’analyser différents aspects de cette recherche participative qui sont apparus au cours du projet. Car, comme dans beaucoup de recherches participatives, une telle démarche amène de nombreuses incertitudes et demande un niveau élevé de flexibilité intellectuelle et organisationnelle afin de s’aligner sur la disponibilité des acteurs (réunions le samedi ou pendant la pause déjeuner) et au contexte (notamment la pandémie). De plus, il fallait assez rapidement mobiliser les compétences collectives des parents vu la diversité des profils de celles et ceux qui ont répondu à l’appel à participation. Une crainte et une réalité de terrain ont fait émerger un questionnement au début du projet à savoir comment mener à bien un travail collectif avec les parents autour de l’élaboration du questionnaire si les profils de parents sont très divers que ce soit en termes socio-économique ou culturel ? Cependant cette crainte a été neutralisée au fil des rencontres grâce à la qualité des échanges. Tous les parents ont été très à l’écoute les uns des autres et se sont soutenus mutuellement, lorsque la tâche ou les propos ne s’avéraient pas suffisamment clairs ou faciles (par exemple la prise de parole en public). Toutefois, on peut noter une déperdition qui s’est opérée vis-à-vis des parents qui souhaitaient participer au projet et n’ont pas pu le faire en raison de leur situation économique (emploi précaire, constante recherche de logement) ou de leurs compétences linguistiques. Les parents qui participent au groupe ont une situation économique stable par rapport à la population générale des parents concernés par la protection de l’enfance. Cela créé chez les chercheur.e.s le sentiment d’avoir « laissé de côté » des parents qui ne sont pas à l’aise pour s’exprimer en français, pour se connecter, pour trouver du temps ou pour anticiper et s’organiser pour ces rencontres. Les efforts des chercheur.e.s quant à leur engagement auprès des parents et des professionnel.le.s n’a pas permis de dépasser une très faible représentation de ces parents dans le groupe.

3-1 Engagement auprès des parents

Cette recherche a nécessité une vigilance de la part des chercheur.e.s pour ne pas s’ancrer dans un discours « contre » l’institution de la protection de l’enfance à partir des expériences négatives de certains parents. Lors de certaines réunions, les réflexions tendaient à s’enfermer dans cette posture « contre », il fallait une attention constante pour rouvrir les échanges sur des aspects plus constructifs. De plus, les chercheur.e.s ont voulu éviter la légitimation de la plainte du simple fait qu’elle soit visibilisée par l’institution universitaire. La question sur ce que la recherche peut faire pour transformer la réalité institutionnelle, le vécu de l’injustice dont ont témoigné les parents dans leurs rapports à l’institution de la protection de l’enfance, a été permanente dans cette démarche. En quoi la recherche peut-elle rendre ces rapports plus compréhensifs, informatifs, équitables ?

Il faut reconnaître que les problèmes rencontrés par les parents n’ont pas été sans résonance dans les vécus personnels des chercheur.e.s, dans l’esprit d’empathie, en partageant la souffrance parfois exprimée par certains parents. Cela a demandé aux chercheur.e.s de se rendre disponibles, aussi affectivement, pour les parents lorsqu’ils exprimaient un tel besoin. Cela se traduit par des conversations téléphoniques parfois longues, disponibilités de l’écoute aux moments critiques dans la vie de ces parents.

Les demandes de parents ont parfois questionné les chercheur.e.s quant à leur rôle. Les parents les ont vu comme des experts de la protection de l’enfance et parfois leur ont demandé des conseils par rapport à la situation de leurs enfants et leur rapport à l’ASE. Des conseils d’orientation ou d’explication générales ont pu être donnés en se basant sur des résultats de recherche connus, mais les chercheur.e.s ont refusé de rejoindre les parents dans leur opposition à l’institution de la protection de l’enfance. Il s’agissait de tenir une position d’équilibre, permettant d’écouter, de comprendre, de prendre en compte le vécu de l’injustice, de soutenir les parents dans leur lutte, sans prendre parti dans les situations conflictuelles avec l’institution ou ses représentant.e.s. Cela a pu causer de la déception chez certains parents. Toutefois, on peut supposer que si cette question continue à être si présente dans cette recherche, c’est peut-être parce que le système de la protection de l’enfance n’a pas mis en place d’actions suffisantes pour soutenir ces parents dans leur rapport à l’institution. En conséquence, les chercheur.e.s et le dispositif d’une recherche participative visant à accompagner la contribution des parents au schéma sont placés, par la dynamique du système lui-même, dans l’espace « entre », en tant que tiers. Cette recherche et le dispositif participatif proposé ont répondu à un besoin, ont comblé un espace vide, qui n’était pas identifié au début du projet. Les chercheur.e.s et les parents ont cheminé ensemble dans leurs questionnements propres et partagés, en construisant la démarche tout au long du projet. Le contrat initial visant à s’engager avec les parents pour contribuer à l’amélioration de la politique de protection de l’enfance, établi au début du projet, a été respecté. Il a cependant évolué en tenant compte de la responsabilité individuelle, collective et institutionnelle et sociétale de l’université, à court, à moyen et potentiellement à long terme, compte tenu des suites que les parents souhaitent donner à ce projet et qui constituent également une préoccupation des chercheur.e.s. On peut penser que les relations établies entre les chercheur.e.s et les parents ont prouvé à ces derniers qu’ils sont aptes à établir des rapports constructifs avec une institution, ici en l’occurrence l’université. Derrière cela, se joue la confiance que les parents peuvent avoir non seulement dans les chercheur.e.s en tant que personnes, mais aussi en tant que représentant.e.s d’une institution.

Une préoccupation éthique est apparue quant à la fin de ce projet de recherche. Implique-t-elle la fin de la participation des parents à la politique de la protection de l’enfance de la Ville de Paris ? En tant que chercheur.e.s, faut-il se retirer après avoir rendu le rapport de recherche ? Que faire avec la demande des parents qui souhaitent contribuer au suivi de la mise en application du Schéma comme ceci a été prévu dans la convention entre la Ville de Paris et l’Université Paris Nanterre ? Quel sera le rôle des chercheur.e.s dans la suite de ce projet ? Ces questions éthiques sont au cœur de cette recherche, de même que le concept du don et du contre-don, présent dans la relation entre les chercheur.e.s et les parents. Une sorte d’impératif éthique pour soutenir des parents, afin qu’après la fin de la recherche, ils puissent continuer à être un collectif, se soutenir mutuellement et aider d’autres parents qui pourraient avoir besoin de ce collectif. Une réflexion commune entre l’UPN, l’Observatoire et le groupe de parents est en cours quant au portage, aux formes et aux objectifs de la participation du groupe des parents au suivi du schéma.

3-2 Engagement auprès des professionnel.le.s

Au début du projet, un groupe ressource composé de professionnel.le.s s’est réuni à plusieurs reprises afin d’aider les chercheur.e.s à articuler les propos des parents avec les réalités des pratiques au sein des services. On peut remarquer toutefois que l’objectif premier de cette recherche étant d’identifier et d’inclure l’expérience des parents dans le processus participatif d’élaboration du Schéma et que des professionnel.le.s ont été représentés dans d’autres groupes de travail du schéma, l’investissement du temps des chercheur.e.s auprès des professionnel.le.s a été moindre. Cependant, il s’avère nécessaire de mettre en place un projet d’accompagnement des professionnel.le.s de première ligne à l’élaboration des politiques publiques, en l’occurrence le Schéma de prévention et de la protection de l’enfance. Diverses recherches montrent qu’il existe une interdépendance entre l’organisation de l’environnement propice à la participation de l’enfant et le pouvoir d’agir des professionnel.le.s au sein de l’institution (Chamberland & Milani, 2021). Car si les professionnel.le.s ne peuvent exercer ce pouvoir de participer aux décisions, comment peuvent-ils.elles susciter l’envie et rendre possible la participation des personnes qu’ils et elles accompagnent ?

Cependant la recherche a permis de soulever un certain nombre de problèmes institutionnels au sein des services, des pièges et pressions dont les professionnel.le.s sont les premières victimes. Par exemple : le nombre de mesures éducatives par professionnel.le, le manque de temps pour écrire les rapports, ou le délai imposé par le mandataire pour écrire le DIPC, trop court pour organiser le premier rendez-vous avec les familles accompagnées. Ces aspects pourraient faire l’objet d’une discussion conjointe entre les professionnel.le.s et les parents afin de favoriser une meilleure compréhension du contexte, des potentiels dysfonctionnements organisationnels de l’aide sociale à l’enfance, mais aussi des tribunaux (par exemple le temps consacré au dossier, à l’audience) afin de dépasser des injonctions paradoxales qui visent à mobiliser les compétences parentales en les disqualifiant par le simple fait et la manière d’entrer dans le système de la protection de l’enfance. Cela permettrait de se centrer sur l’essentiel à savoir : « comment on va travailler ensemble pour construire un environnement favorable au développement de l’enfant ? ».

Pour finir, il est nécessaire de souligner que la responsabilité engagée par les chercheur.e.s dans ce projet se réfère à l’ensemble du collectif de cette recherche : parents, professionnel.le.s, étudiant.e.s, chercheur.e.s.


1 Hélène Join-Lambert, Séverine Euillet, Anna Rurka et Fabien Deshayes (jusqu’en juin 2021), en tant que maitres.ses de conférences de l’équipe Education familiale et interventions sociales auprès des familles (EFIS), sous-équipe du Centre de recherches en éducation et formation (CREF) de l’Université Paris Nanterre. www.efis.parisnanterre.fr