5 – Synthèse : apports et limites du processus déployé

La co-construction est « un processus par lequel un ensemble d’acteurs différents exprime et confronte leurs points de vue sur le fonctionnement organisationnel, sur leur représentation de l’avenir d’un territoire, sur une innovation technique ou une problématique de connaissance » (Foudriat, 2021, 17). Dans cette perspective, la démarche de recherche expérimentée pour la préparation du schéma parisien de la prévention et de la protection de l’enfance a permis d’identifier quelques éléments liés à la réalisation d’un processus participatif impliquant des parents dans la construction d’une politique de protection de l’enfance.

La mise en place même de ce processus de recherche a mis en lumière certains constats qui peuvent éclairer de façon opérationnelle les obstacles à la participation. Tout d’abord, la difficulté pour l’institution de communiquer de façon collective avec l’ensemble des parents pour les informer du projet, notamment par manque de supports rassemblant les coordonnées actualisées des parents. De plus, une hétérogénéité au niveau des équipements numériques des parents, que ce soit en termes de possession, d’accès ou d’usage, qui impacte directement les modalités de communication à distance.

Dès la conception du projet, cette recherche visait un changement de pratique : il s’agissait de permettre la co-construction avec les parents, qui jusque-là n’avaient pas voix au chapitre lors de la rédaction des schémas départementaux de protection de l’enfance. Pour une équipe de chercheur.e.s, cet objectif comporte des défis qui vont bien au-delà des défis rencontrés dans les processus de recherche traditionnels.

Les parents qui se sont le plus mobilisés, qui ont poursuivi et poursuivent le travail collectif, se trouvent dans une forte souffrance du fait de l’éloignement de leur enfant, et ont perdu toute confiance envers les professionnel.le.s et les institutions de protection de l’enfance.

Pour qu’ils acceptent de contribuer à ce travail, il leur a fallu surmonter la défiance, se risquer à faire confiance à une équipe de chercheur.e.s. Pour cela, ils avaient besoin de garanties : l’anonymat, la confidentialité des échanges, mais également, le fait que le fruit de ce travail serait bien entendu en haut lieu, que les résultats seraient intégrés au schéma. Cela, l’équipe de recherche en a obtenu l’engagement de la Ville de Paris avant de solliciter des parents, en décembre 2020, et cet engagement a été respecté puisque les résultats formulés avec l’équipe de parents font partie du schéma.

En revanche, d’autres espoirs ne pouvaient pas être garantis : ni l’assurance que les choses changeront effectivement dans le fonctionnement des institutions, ni l’engagement des chercheurs.e.s pour résoudre des situations individuelles. L’enjeu de cette recherche est donc à la fois, de mettre en place un processus rigoureux et transparent pour obtenir les résultats solides, de répondre aux attentes de la Ville de Paris afin que les résultats puissent être intégrés au schéma, et de tenir les engagements pris auprès des parentsen rendant visible leur expérience, en s’assurant qu’ils puissent reconnaître dans le schéma leur parole, telle qu’elle a été exprimée. Ce triple engagement est certainement une condition de la recherche participative.

Les chercheur.e.s tout au long de la recherche ont dû ajuster la démarche participative aux contraintes propres aux travaux menés par l’Observatoire sur le schéma parisien de la protection de l’enfance et l’intérêt des parents à y contribuer. Ces ajustements ont été effectués en tenant compte des obligations légales et éthiques des recherches en Sciences de l’éducation et de la formation. Il s’agit entre autres du respect de l’autonomie (aptitude à prendre des décisions par soi-même) ; la non-malfaisance (éviter de causer du tort) ; la bienveillance (obligation de faire du bien) ; l’équité(répartition des apports et des contraintes) (Rurka & Séraphin, 2022).

Le processus de recherche, construit au cours de la démarche, ainsi que les effets qu’il a produits sur les parents, étudiant.e.s et les chercheur.e.s, s’inscrivent dans une approche constructiviste. Cette dernière stipule que la réalité est une construction sociale (Berger & Luckman, 2003) et celle-ci prend en compte l’agissement de nos représentations. La réflexivité des acteurs engagés prend alors tout son sens, étant à la fois moteur et produit de la recherche. De plus, l’ajustement par le collectif de la démarche de recherche en train de se faire peut être considéré comme une manifestation de l’appropriation de la démarche par les acteurs de la recherche (Rurka & Rousseau, 2018). Comme toute recherche participative, celle-ci aussi relie les questions théoriques, empiriques, épistémologiques et éthiques, en les imbriquant les unes aux autres. Ce rapport en témoigne pleinement.