Questionnaire : L’enfant protégé confié à un proche

Volet « EPCP L’enfant protégé confié à un proche (EPCP) : Qui ? à qui ? pourquoi ? avec quels objectifs ? comment ? La situation des départements et collectivités à compétences départementales français américains et de l’Océan indien (2019-2025) » : Enquête commune à tous les départements et collectivités d’outre-mer pour mieux connaître la population des mineurs confiés à un proche, de leur famille et des tiers « administratifs » ou « judiciaires », ainsi que les besoins et les accompagnements actuellement proposés.

Acteurs : Ensembles des départements et collectivités d’outre-mer souhaitant participer (A l’heure actuelle : Saint-Martin -2020, Martinique -2021, Réunion -2021 et Guadeloupe -2023-2024. Chercheurs : Gilles Séraphin (PU, responsable scientifique). Appui pour la préparation du questionnaire : Virginie Avezou-Boutry (MCF), Sarah Mosca (postdoc en fin 2020).

Période : 2019-2025.

Méthode : Questionnaire.

Soutiens : Le projet est mené sous la responsabilité de l’UPN. Il ne repose sur aucun financement. En revanche, dans le cadre d’une collaboration fonctionnelle, chacune des collectivités contribue en nature : envoi du questionnaire, saisie, nettoyage de la base, communication… L’UPN effectue les analyses et rédige le rapport final.

Avis RGPD : Aval DPO UPN en avril 2020.

Avis éthique : Avis favorable du Comité d’éthique et de recherche SPSE de l’UPN le 13 avril 2020 (avis n° 04-n°2).

Communications et publications :

  • SÉRAPHIN Gilles, AVEZOU-BOUTRY Virginie, L’enfant protégé confié à un proche (EPCP) dans les collectivités locales françaises de l’arc indien et atlantique : état des lieux et questions de recherche, Congrès de l’Association internationale de recherche et de formation en éducation familiale (Aifref), Martinique 16 mai 2019.
  • SÉRAPHIN Gilles, Enfance, familles et protection de l’enfance dans les départements et collectivités à compétences départementales d’outre-mer : Données de cadrage, Rencontre de la protection de l’enfance dans les outre-mer organisée par Madame Girardin, ministre des outre-mer et Monsieur Taquet, Secrétaire d’État à la protection de l’enfance, Ministère des Outre-mer, 2 juillet 2019.
  • SÉRAPHIN Gilles, Rapport : premiers résultats de l’enquête EPCP Martinique/ Réunion/St-Martin, Conseil départemental de la Réunion, 10 décembre 2021.
  • SÉRAPHIN Gilles, AVEZOU-BOUTRY Virginie, Présentation du programme de recherche : « L’enfant protégé confié à un proche (EPCP) dans les collectivités locales françaises de l’arc indien et atlantique : état des lieux et questions de recherche », Conseil départemental de la Réunion, 10 décembre 2021.
  • SÉRAPHIN Gilles, « L’enfant protégé confié à un proche (EPCP) à la Martinique, à la Réunion et à Saint-Martin : principaux enseignements d’une enquête auprès des tiers, des enfants et des parents », in Malbert, Th., Rizzo, G., Oulahal, R., Anthropologie de la parenté dans les sociétés de l’océan Indien, Presse Universitaire Indianocéanique, à paraître en 2023. https://hal.science/hal-04168889

Il est spécifié dans l’article 375-3 du CC que : « Si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut décider de le confier : 1° A l’autre parent ; 2° A un autre membre de la famille ou à un tiers digne de confiance ; […] ».

Suite à la loi 2022-140 du 7 février 2022, le décret n° 2023-826 du 28 août 2023 relatif aux modalités d’accompagnement du tiers digne de confiance, de l’accueil durable et bénévole par un tiers et de désignation de la personne de confiance par un mineur.

Par ailleurs, suite à la promulgation de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, l’article L 221-2-1 du CASF précise : « Lorsqu’un enfant est pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance sur un autre fondement que l’assistance éducative, le président du conseil départemental peut décider, si tel est l’intérêt de l’enfant et après évaluation de la situation, de le confier à un tiers, dans le cadre d’un accueil durable et bénévole. Sans préjudice de la responsabilité du président du conseil départemental, le service de l’aide sociale à l’enfance informe, accompagne et contrôle le tiers à qui il confie l’enfant. Un référent désigné par le service est chargé de ce suivi et de la mise en œuvre du projet pour l’enfant prévu à l’article L. 223-1-1. Les conditions d’application du présent article sont précisées par décret. » (Décret n° 2016-1352 du 10 octobre 2016 relatif à l’accueil durable et bénévole d’un enfant par un tiers, prévu à l’article L. 221-2-1 du code de l’action sociale et des familles).

A noter : Dans la suite de ce document, par facilité de langage, il sera utilisé l’expression « tiers judiciaire » pour désigner les personnes visées par le CC 373-3 alinéa 2, et « tiers administratif » pour désigner les personnes visées par le CASF L 221-2-1.

Rares sont aujourd’hui les données démographiques disponibles sur ces tiers et les enfants qui leurs sont confiés. Selon l’Annuaire de la Justice 2018, 7% des enfants seraient placés durant l’année 2016 au titre de l’alinéa 2 du CC 373-3 (à noter que pour 27 % du total des mineurs concernés, la précision de l’organisme/du lieu de placement n’est pas apportée). cf. http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Stat_Annuaire_ministere-justice_2016_chapitre11.pdf

Selon le tableau en lien, la répartition serait la suivante :

  • Tiers digne de confiance : 4 %
  • Parent n’ayant pas l’exercice de l’autorité parentale : 2%
  • Autre membre de la famille : 1%

Ces chiffres sont des « flux » sur l’ensemble de l’année 2016 (nouvelles mesures prononcées durant cette période). On peut faire l’hypothèse que ces mesures sont d’une durée plus longue que les autres mesures en protection de l’enfance, d’assistance éducative notamment, ce qui fait que la proportion en « stock » (ensemble des enfants bénéficiant d’un placement au titre de l’alinéa 2) à une date donnée est plus importante.

Nous ne disposons pas, dans les ressources centralisées du Ministère de la Justice, de données départementales. Selon les témoignages de certain.e.s directeurs.rices enfance et famille (Def), et les premiers chiffres relevés, cette proportion serait beaucoup plus élevée dans certains départements et collectivités à compétences départementales français américains ou de l’Océan indien. Ce constat est vérifié dans le cadre du travail préparatoire au présent projet de recherche (cf. infra) et sera confirmé tout au long de celui-ci.

Par ailleurs, nous ne disposons à l’heure actuelle d’aucune donnée nationale sur les enfants confiés à des tiers « administratifs ».

Au niveau des départements et collectivités concernés, nous avons au début de ce projet, en 2019, les données suivantes :


France entière (hors Mayotte)MayotteGuadeloupeGuyaneMartiniqueRéunionSaint-Martin
Nombre de mineurs confiés à l’Ase (selon la Drees et selon l’Ase pour St-Martin)119 496
6125941043185770
Placement par le juge auprès d’un tiers digne de confiance (+ DAP pour la Réunion) + tiers administratifs1323615253247248460 (dont 20 administratifs)12 (dont 5 administratifs)
Taux de placements de mineurs chez des « tiers » (judiciaire et administratif) / Mineurs confiés en tiers et administratif (Ase, placements directs, tiers…)0,11
0,410,420,240,250,17

La recherche internationale sur le sujet est ample et diversifiée, puisque la quasi totalité de pays du monde ne disposent pas du dispositif français des familles d’accueil professionnalisés. Les études sur le foster care portent donc sur cet accueil des enfants confié à un bénévole, sachant qu’une sous-catégorie de ce foster care est le family care, les enfants confiés à un membre de leur famille. Ainsi, ni la catégorie du foster care ni celle de family care ne recoupe celle de mineur confié à un proche.

En revanche, en France, les recherches menées sur les enfants confiés à un proche sont rares. En outre, elles portent uniquement sur les tiers dignes de confiance judiciaires, voire, pour la recherche de Bernadette Tillard et de Sarah Mosca, citée ci-après, sur les enfants confiés à des tiers dans un cadre judiciaire avec bénéfice, en complément, d’une assistance éducative en milieu ouvert (AEMO). La recherche dirigée par Catherine Sellenet a été la base de la décision du Défenseur des droits MDE-2014-134 du 29 septembre 2014 relative à l’accueil des enfants confiés, dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative, à une personne désignée tiers digne de confiance, déjà cité et présentée en annexe.

Les références aux recherches sont les suivantes :

Cette dernière recherche donne lieu à une thèse :

  • Sarah Mosca, Regards croisés sur le placement de l’enfant chez un proche, sous la direction de Bernadette Tillard (PU, Université de Lille, Clersé), qui sera soutenue le 2 octobre 2019, en l’Université de Lille (Gilles Séraphin est rapporteur).

Voir également les publications issues de ces recherches :

  • Catherine Sellenet, « Parentèle, tiers dignes de confiance et parrains : des solidarités autour de l’enfant en protection de l’enfance », Paris, Cnaf, Informations sociales, 2015/2, n° 188, 2015, pp. 88-95.
  • Bernadette Tillard, « Domestic Spaces and Child Protection at Home. Physical Hygiene As a Focus of Interventions by Social Workers in France. Italian Journal of Sociology of Education », Padova University Press, 9 (3), 2017, pp. 70-96. http://ijse.padovauniversitypress.it/system/files/papers/2017_3_4.pdf
  • Bernadette Tillard, « Informal help from family support workers for families in France », Child and Family Social Work, Volume 22, Issue Supplement S3 Supporting Families, 2017, pp.1-9. http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/cfs.12296/epdf
  • Bernadette Tillard, Chiara Sità, L. Cadeï L., Sarah Mosca, « Enfants confiés aux proches : comparaison France – Italie », Revue Internationale d’Education Familiale, n° 43, à paraître en 2018.
  • Bernadette Tillard, Sarah Mosca, « Les travailleurs sociaux et le placement de l’enfant chez un proche », Recherches Familiales, Paris, Unaf, n° 16, 2019.

Pour une analyse complète, précise et concise de deux situations nationales largement étudiées dans la recherche, l’Angleterre et l’Espagne, il est possible de se référer au rapport de Bernard Tillard et Sarah Mosca déjà cité, pp. 11-28.

Apport de ces recherches en France

Dans son article « Parentèle, tiers dignes de confiance et parrains : des solidarités autour de l’enfant en protection de l’enfance », paru en 2015, Catherine Sellenet souligne les avantages de ce recours aux proches (tiers ou parrain) :

  • Échapper à la stigmatisation et vivre chez soi

« Pour les enfants accueillis totalement dans la parentèle ou chez des tiers dignes de confiance, échapper à la stigmatisation d’un placement est le premier bénéfice évoqué. […]. [Vivre dans un] ‘’chez-soi’’ où la détente tant physique que psychique est possible, où le sentiment de liberté dans l’appropriation de l’espace existe, sans pour autant en nier les règles.

On mesure à écouter les enfants combien l’ancrage dans un territoire est important pour la construction de soi. […] Si avoir un chez soi est si important, c’est qu’il ne s’agit pas seulement d’un espace architectural mais bien d’un lieu de sédimentation de soi.

Enfin, le ‘’chez-soi’’ est porteur d’une culture domestique. Et c’est de cette culture familiale que l’aidant proche est porteur. Lui seul peut revisiter avec l’enfant les souvenirs de cette mémoire familiale. »

  • L’absente ou l’absent en souvenir commun

« Ce qui différencie profondément le recours aux aidants ou tiers dignes de confiance des autres modes d’accueil, ce sont les souvenirs partagés liés à la figure du parent décédé, absent, empêché durablement ou temporairement. Pour les enfants, nul besoin de raconter leur histoire, les tiers la connaissent, ils la partagent dans ses joies et ses tristesses. Il est alors plus facile pour les enfants d’exprimer leurs émotions complexes vis-à-vis du parent absent. […]. C’est l’histoire de soi et la mémoire familiale, qui restent vivantes par ces solidarités familiales déployées. »

  • L’estime de soi renforcée

« Compter sur et compter pour quelqu’un constituent des éléments majeurs de la construction de l’identité. Les enfants investis dans le cadre d’un placement chez des tiers ou dans un parrainage de proximité font l’expérience de liens d’attachement sécures. Ils sont 66 % à penser que cette relation sera pérenne. Cet ancrage est encore plus important pour les enfants qui vivront un placement en protection de l’enfance. Pour eux, le parrain incarne, sur tous les items, la certitude d’être attendu quelque part et de compter affectivement pour quelqu’un : 66 % des enfants placés connaissent la famille de leur parrain (contre 39 % pour ceux non placés), 71 % ont grâce à cette présence confiance dans l’avenir (contre 49 %)… On ne peut mieux dire combien ces adultes représentent des figures tutélaires significatives pour les enfants. »

Par ailleurs, elle évoque les risques de l’entraide : « Existe-il des risques à ce type d’entraide ? Le nier serait déraisonnable dès lors que la solidarité repose sur l’idée de rencontre, de don et contre-don et que chaque partie peut à tout moment rompre le contrat d’alliance. Mais ce mode de prise en charge de l’enfant ne comporte pas plus de risque qu’un placement en institution ou famille d’accueil. Il présente par contre des spécificités auxquelles il convient d’être vigilant, par exemple, du côté des aidants : l’épuisement et la solitude ; le poids économique parfois trop lourd pour des tiers dignes de confiance ; l’équilibre familial remanié par l’arrivée de l’enfant ; l’articulation entre toutes les personnes en charge de l’enfant. Pour les enfants, la confrontation des modes de vie et des modèles peut être problématique mais elle est, nous l’avons vu, une richesse en termes de socialisation. »

Dans leur conclusion au rapport réalisé pour l’ONPE, Bernadette Tillard et Sarah Mosca reviennent sur l’accompagnement proposé à ces mineurs et ces proches, lorsque le « confiage » chez un proche est doublé du bénéficie d’une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert :

« Les proches soulignent que c’est souvent leur premier contact avec les services sociaux, que les premières audiences sont particulièrement stressantes, qu’ils connaissent peu leurs droits et devoirs et qu’ils découvrent les attributs des différents professionnels de la protection de l’enfance. Lorsque nous les avons rencontrés, ils ont bien intégré les préoccupations des travailleurs sociaux sur le respect des places de chacun. Aussi, insistent-ils sur le fait qu’ils ne sont pas les parents. Ils font régulièrement référence au travail parental qu’ils effectuent et à la « bonne distance » qu’ils préservent. La question des places et de la substitution des parents, et particulièrement de la mère, est un point auquel veillent les professionnels de la protection de l’enfance. Ces questions se retrouvent fréquemment dans les travaux sur les familles d’accueil. Cependant il semble que cette surveillance soit encore plus attentive lorsque la personne en charge de l’enfant est un membre de la parenté. L’importance des situations de précarité pose avec acuité la question du soutien financier aux proches accueillants. Dans ce contexte, le lecteur s’étonnera que l’allocation d’entretien ne soit pas systématiquement versée, dès lors que le juge des enfants a désigné le tiers, ou encore qu’une démarche systématique et proactive ne soit entreprise en ce sens par les services sociaux, (il conviendrait de définir à qui reviendrait cette tâche en cas d’une part, de mesure simultanée d’AEMO et d’autre part, en son absence). En effet, pour certaines situations, le travail éducatif des proches est doublement gratuit : il n’entraîne pas de salaire, et n’ouvre pas systématiquement à un dédommagement des frais. Ajoutons à cela les hésitations des travailleurs sociaux à modifier le nom du bénéficiaire des allocations familiales, de peur de mettre symboliquement le parent, un peu plus sur la touche. Au total, […] les problèmes matériels du proche ne sont sans doute pas considérés à leur juste mesure. Actuellement, il faut que le proche lise attentivement le jugement et entreprenne de lui-même les démarches auprès du conseil départemental. Prendre cette initiative est d’autant plus coûteux que les proches acceptent ce statut, mus par une obligation morale, avec le sentiment de devoir tout faire pour éviter un placement hors de la parenté. Tenus par cette obligation morale, ils peuvent ressentir un certain malaise à réclamer des contreparties à cet engagement. Dans le même ordre d’idée, compte tenu de la précarité des familles concernées et du manque d’information sur le statut du tiers et de l’enfant confié, il serait sans doute opportun que les possibilités d’aides aux jeunes majeurs soient davantage portées à la connaissance des familles. […].

D’autre part, le travail […] a mis en évidence que le rôle du proche s’exerce au sein d’un réseau familial de proximité, peu connu des intervenants sociaux. Il s’inscrit dans la durée et bien souvent précède le placement. […] Ce soutien bénéficie souvent aussi bien au(x) parent(s) qu’à l’enfant, ce qui n’exclut pas des mésententes entre le(s) grand(s)-parent(s) et le(s) parent(s) de l’enfant. Par ailleurs, les entretiens avec les travailleurs sociaux ont montré que ce soutien se prolonge dans les moments de retour de l’enfant auprès du/des parent(s). Les travailleurs sociaux regardent cette continuité avec pragmatisme tout en s’interrogeant sur les raisons qui mobilisent les proches. Les proches s’organisent pour accueillir, présentent seuls ou avec l’aide de l’entourage l’enfant aux visites en lieu neutre ou médiatisé, s’accommodent des tracasseries administratives engendrées par une situation rare et floue, pourvoient aux besoins de l’enfant, s’entourent du soutien dont ils ont besoin en faisant appel aux membres de la parenté vivant à proximité, mais tant d’engagement conduit souvent au doute des professionnels : pourquoi font-ils tout cela ? Les travailleurs sociaux oscillent donc entre la recherche de motivations inavouées et le fait de saisir l’opportunité d’une solution qui, le plus souvent, a déjà fait ses preuves avant la crise. Cependant, dès qu’un père ou une mère exprime son souhait de présence auprès de l’enfant, et conformément au paradigme français en protection de l’enfance qui privilégie le retour chez le(s) parent(s), le filet de sécurité que les proches ont tissé autour l’enfant cède le pas au désir du parent et retourne à son statut informel. Il faut organiser des rencontres, établir un lien qui n’a parfois jamais existé, au risque d’insécuriser le proche et l’enfant. Si le parent n’a pas assumé son rôle depuis de nombreux mois, s’il n’a pas donné signe de vie à l’enfant et à son entourage, s’il ne s’est pas inquiété de lui, [ne serait-ce qu’] à distance, il peut néanmoins surgir à tout moment. D’une certaine manière, les devoirs du parent à l’égard de l’enfant semblent pouvoir s’exercer de manière discontinue sans que cela remette en cause la totalité de ses droits. Cette étude pose une question commune à tous les dispositifs de suppléance parentale : comment établir ou maintenir une forme de parentalité sans aggraver la discontinuité des parcours ? […]

Enfin à l’issue de cette étude, une question reste posée : est-ce que la recherche d’un proche susceptible d’accueillir l’enfant est entreprise de manière systématique lorsqu’il apparaît aux travailleurs sociaux qu’il serait nécessaire d’avoir recours à un placement ? Avec les nouvelles possibilités ouvertes par la loi du 14 mars 2016, cette question sera sans doute à l’ordre du jour dans les mois à venir. La présente étude tire les leçons de l’expérience des parents et des professionnels de cas jusqu’ici rencontrés dans le cadre juridique. »

La recherche se déroule en collaboration avec les départements et collectivités français américains (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Saint-Martin et éventuellement Saint-Barthélemy) et de l’Océan indien (La Réunion et Mayotte), voire avec les collectivités et territoires français de l’Océan indien, du Pacifique et du nord de l’Atlantique. A l’heure actuelle, en 2021, le questionnaire est diffusé à Saint-Martin (2020), à la Martinique (2021) et à la Réunion (2021).

Avant d’aborder les objectifs et la méthode de recherche, notons en préalable que cette recherche s’inscrit dans une approche écosystémique du développement et de l’éducation de l’enfant. Selon les modèles culturo-écologiques (Bronfenbrenner, 1986, 1996 ; Ogbu, 1981, Super et Harkness, 1986 ; Reed et Bril, 1996 ; Belsky, 1984), sur lesquels nous nous appuyons, une compréhension des familles, des besoins des parents et des enfants ainsi que le développement de ces derniers ne peut être atteinte sans une analyse des contextes socio-historico-culturels de vie. Dans un processus d’interactions mutuelles entre individus et milieu, ils participent à définir les caractéristiques des environnements de développement et par là-même le champ d’actions possibles au sein duquel se mettent en œuvre les processus de développement et se manifestent les compétences individuelles. Ce pré-requis nous conduira à réaliser, sur chaque territoire concerné, une analyse de l’écologie historique, sociale et culturelle des familles de ces territoires, qui comprend l’analyse des contextes géographiques et historiques, de la structure économique, sociale, religieuse et familiale et des pratiques éducatives et de socialisation de l’enfant.

Nous déterminerons ensuite quels sont les points communs entre l’ensemble des territoires concernés ou par grands groupes de territoires.

Références :

Belsky, J. (1984). The Determinants of Parenting A Process Model. Child Development, 55, 83-96.

Bronfenbrenner, U. (1986). Ecology of the Family as a Context for Human Development: Research Perspectives. Developmental Psychology, 22(6), 723-742.

Bronfenbrenner, U. (1996). Le modèle “Processus-Personne-Contexte-Temps” dans la recherche en psychologie du développement : principes, applications et implications. In R. Tessier & G.M. Tarabulsy, Le modèle écologique dans l’étude du développement de l’enfant (pp. 10-59), Québec : PUQ.

Ogbu, J. U. (1981). Origins of Human Competence: A Cultural-Ecological Perspective. Child Development, 52, 413-429.

Reed, E., & Bril, B. (1996). The primacy of action in development. In M. L. Latash & M. T. Turvey (Eds.), Dexterity and its development (pp. 431-453). Hillsdale: Lawrence Erlbaum Associates.

Super, C. M., & Harkness, S. (1986). The Developmental Niche: Conceptualisation at the Interface of Child and Culture. International Journal of Behavioral Development, 9, 545-569.

Deux hypothèses sous-tendent cette recherche.

Dans le cadre de cette l’analyse écosystémique énoncée supra, il nous semble que, dans les départements et collectivités à compétences départementales d’outre-mer – et éventuellement dans les territoires d’outre-mer s’ils voudront s’associer à cette recherche – la prise en compte de la « communauté » (définie comme une relation de proximité au sein d’un groupe auquel on a le sentiment d’appartenir, dépassant le cadre des relations familiales légalement instituées par l’union et la filiation) est un principe accepté voire partagé. Par conséquent, les pratiques de protection qui intègrent les communautés sont plus développées. Cette hypothèse reste à vérifier ; toutefois, le plus grand nombre d’enfants confiés à des tiers dignes de confiance semblerait aller dans ce sens.

Par ailleurs, maints travaux portant sur l’articulation des solidarités publiques et privées, dans le domaine de la politique de soutien aux personnes âgées ou la politique de soutien aux personnes en situation de handicap par exemple (pour une synthèse, voir Gilles Séraphin, Comprendre la politique familiale, Dunod, 2013), établissent le constat suivant : la solidarité publique et la solidarité privée ne se remplacent pas ; au contraire, une solidarité privée peut d’autant mieux se déployer qu’elle est étayée et soutenue par une solidarité publique. Nous émettons l’hypothèse que la solidarité privée, via une mesure pour une prestation de « tiers » sera d’autant plus facilement « déployable » (avec des tiers volontaires et disponibles) qu’elle sera soutenue par une solidarité publique, via un accompagnement proposé par le conseil départemental/de la collectivité notamment.

Objectif général de la recherche (questionnaire avec complément des apports abordés dans les autres volets)

La recherche a pour objectif de répondre à cette série de questions :

  • Qui sont les enfants confiés à des tiers « judiciaires » et « administratifs » ? Sexe, âge, lieu d’habitation d’origine… En raison de quel danger initial ?
  • Qui sont les tiers à qui les enfants sont confiés ? Quel lien initial avec l’enfant ? Sexe, âge, situation de couple, lieu d’habitation ?
  • Existe-il une spécificité des départements et collectivités concernés, ou de certains d’entre eux, sur cet accueil par des tiers ? Un plus grand recours ? Un recours dans certaines situations ? Pourquoi ? Quel est l’objectif ?
  • Quel est le processus de décision qui conduit au choix d’un tiers lorsque l’enfant est en danger ? Quels éléments rentrent en compte : type de danger, présence d’un proche qui fait déjà référence pour l’enfant et qui est disponible, attention à préserver pour l’enfant un milieu social et « culturel » identique ?
  • De quel soutien (pécuniaire, social, psychologique…) les mineurs et les tiers bénéficient-ils ? Comment ce soutien se met-il en place ? Quels sont les objectifs de l’Ase et des associations qui soutiennent ou mettent en place ces dispositifs ? Quelles limites et quels enjeux ?
  • De quel contrôle les mineurs et les tiers font-ils l’objet ? Comment ce contrôle se met-il en place ? Quelles limites et quels enjeux ?

Utilité sociale de la recherche

En termes de recherche, les objectifs du projet sont de connaître la population des mineurs confiés à des tiers, les tiers et les parents, leurs difficultés et les besoins exprimés. Les volets spécifiques à chaque département/collectivité s’attacheront à approfondir un des aspects : participation des mineurs, tiers et famille voire écoconstruction de l’accompagnement ; processus de prise de décision, accueil des mineurs non accompagnés…

Ce projet est non seulement d’un fort apport sur le plan scientifique mais répond également à des attentes sociales et institutionnelles. De façon générale, les départements et collectivités d’outre-mer s’engagent fortement dans ce projet pour plusieurs raisons :

  • En France, les mesures et prestations de tiers sont peu prononcées, alors que le Législateur et les Pouvoirs publics nationaux souhaitent les développer. Ce projet vise au final à accompagner le développement par une évaluation puis par des préconisations visant à améliorer l’accompagnement proposé. Ainsi, ces départements et collectivités souhaitent développer cette forme d’accompagnement par l’offre d’un soutien et d’un contrôle adaptés répondant aux besoins.
  • En termes de politiques publiques, l’objectif est ainsi de développer les solidarités « privées » mises en œuvre par des proches par l’offre d’un soutien par une solidarité publique (l’accompagnement).
  • Au final, par le nombre de bénéficiaires concernés et par la création d’une nouvelle prestation d’accompagnement, les départements/collectivités d’outre-mer sont novateurs dans ce mouvement. En disséminant les résultats de l’évaluation dans ce « laboratoire d’innovation », le projet vise à faire bénéficier de leur expérience tous les départements de la République française. Ainsi, il s’agit également de valoriser l’action innovante des départements et collectivités d’outre-mer qui se révèlent être de véritables laboratoires et pôles d’expérimentation.

L’objectif de ce volet est de mieux connaître la population des mineurs confiés à des « tiers », de leur famille et des tiers en question.

Avec le soutien du comité de pilotage et de l’ensemble des départements et collectivités concernés, l’équipe de Paris-Nanterre a proposé un questionnaire aux départements/collectivités (avec possibilité de remplissage en ligne). Ces informations portent sur les mineurs, leurs parents détenteurs de l’autorité parentale et les tiers. Les principaux thèmes abordés sont les suivants. Pour les mineurs : ensemble des variables et données contenues dans le n° 2016-1966 du 28 décembre 2016 (dispositif Olinpe) ; expression sur les principaux aspects de la vie quotidienne et sur les principaux besoins. Pour les tiers : principales informations identitaires ; principal projet de vie pour le mineur et expression des principaux besoins. Pour les familles : principales informations identitaires ; principal projet de vie pour le mineur et expression des principaux besoins.

Ce questionnaire est adressé par le département/la collectivité aux destinataires. Ce.tte dernier.e exécutera la saisie.

Les personnes remplissant le questionnaire sont informées en page de garde de leurs droits et des implications que leur réponse engendre. Les parents, recevant eux-mêmes en préalable un questionnaire avec page de garde indiquant leurs droits, peuvent s’opposer à ce que leur enfant réponde au questionnaire.

L’ensemble des documents est rédigé en français. A St-Martin, où l’usage de l’anglais est répandu, le questionnaire a été mené par des enquêteurs, dans ces diverses langues, voire en créole ou en espagnol quand cela a été nécessaire.

Les questions sont factuelles ; lorsqu’elles portent sur des questions plus larges (difficultés et besoin), elles sont suffisamment ouvertes pour ne pas engendrer des troubles chez les répondants. L’enfant est invité à répondre par le biais du tiers qui assure sa protection. Ce tiers peut l’accompagner dans le processus et adaptera donc éventuellement le questionnement, si jamais il provoque des troubles.

Il peut également être directement rempli en ligne, sur un site créé par le département/la collectivité, par des agents tenus au secret professionnel partagé, de façon anonyme.

Le questionnaire est précédé d’une notice d’information complète qui informe le/la répondant.e de ces droits.

Les bases de données, entièrement anonymisées, seront conservées sur les postes des deux chercheurs porteurs du projet, Gilles Séraphin et Virginie Avezou-Boutry, pour une durée de 5 ans maximum. Elles seront conservées uniquement sur les postes de ces deux chercheur.e.s.

Une fois la recherche réalisée, il sera produit un document de synthèse qui sera adressé à tous les participants par le service Ase concerné. L’équipe de Nanterre sera également disponible pour rendre compte sur place des résultats, lors de réunions publiques.

SÉRAPHIN Gilles, Enfants protégés confiés à un proche à la Martinique, la Réunion et à Saint-Martin : Qui sont les acteurs du confiage ? Rapport d’analyse du questionnaire rempli par les tiers, parents et enfants en Martinique, à la Réunion et à Saint-Martin. CREF (EA 1589), 2022. https://hal.science/hal-03889318

SÉRAPHIN Gilles, « L’enfant protégé confié à un proche (EPCP) à la Martinique, à la Réunion et à Saint-Martin : principaux enseignements d’une enquête auprès des tiers, des enfants et des parents », in Malbert, Th., Rizzo, G., Oulahal, R., Anthropologie de la parenté dans les sociétés de l’océan Indien, Presse Universitaire Indianocéanique, à paraître en 2023. https://hal.science/hal-04168889

SÉRAPHIN Gilles, Enfants protégés confiés à un proche en Guadeloupe, en Martinique, à la Réunion et à Saint-Martin : Qui sont les acteurs du confiage ? Rapport d’analyse du questionnaire rempli par les tiers, parents et enfants en Guadeloupe, Martinique, à la Réunion et à Saint-Martin, Rapport final, Efis/Cref/UPN, Soutien Fondation de France, 2024. https://hal.science/hal-04016079

SÉRAPHIN Gilles, « Protéger un enfant en danger en le confiant à un proche : s’inspirer de l’expérience des départements d’outre-mer », The Conversation, 18 novembre 2023, https://theconversation.com/proteger-un-enfant-en-danger-en-le-confiant-a-un-proche-sinspirer-de-lexperience-des-departements-doutre-mer-242948

SÉRAPHIN Gilles, « Quel accompagnement proposer aux enfants, tiers et parents quand l’enfant est confié à un proche dans le cadre de la protection de l’enfance ? », Rencontres interdit de la protection de l’enfance, Le Gosier, Guadeloupe, 20 novembre 2024.