2 – Enjeux relationnels
La qualité des relations entre les professionnel.le.s de protection de l’enfance et les personnes usagères (enfants et adultes) est décrite dans la littérature scientifique comme un élément central de l’efficacité des interventions socio-éducatives (Buckley, Carr, & Whelan, 2011; de Boer & Coady, 2007 ; Euillet, Kettani & Join-Lambert, 2018 ; Tillard, Valérie & Rurka 2016 ). De plus, les recherches ont également montré que la relation interindividuelle entre le professionnel et le parent, basée sur des représentations réciproques et positives influence le rapport et la perception des parents vis-à-vis du système entier de l’aide à l’enfance (Buckley et al., 2011; Gladstone et al., 2012 ; Rurka 2008 ; Spratt & Callan, 2004).
La reconnaissance, le respect et la réciprocité constituent une base pour un engagement éthique avec les personnes « non volontaires » (Turney, 2012). Le caractère contraignant et imposé des mesures éducatives ou du placement sous menace de la loi rend les relations de pouvoir extrêmement déséquilibrées entre les familles et les travailleurs sociaux. La sur-responsabilisation des parents quant aux difficultés rencontrées par l’enfant et la non-prise en compte du contexte dans l’éducation de l’enfant évolue, contribue à stigmatiser les parents. Cette stigmatisation est renforcée lorsque les parents et les travailleurs sociaux ne partagent pas le même point de vue sur les responsabilités éducatives quant aux risques ou dangers identifiés chez l’enfant, accompagné ou accueilli en protection de l’enfance. Au titre d’une prise de conscience, les travailleurs sociaux exigent des parents qu’ils acceptent la responsabilité des risques identifiés. Les recherches l’ont fait ressortir lorsqu’il s’agit des choix éducatifs des parents (Rurka et al. 2009) et lorsqu’il s’agit d’intervenir dans le contexte de violences domestiques (Bourassa et al. 2008 ; Stanley et al., 2011). Cette différence des points de vue peut également porter sur la manière de remédier aux difficultés de l’enfant. Cela rend les interactions entre eux difficiles, voire conflictuelles. Étant usagers des services sociaux, les parents témoignent souvent du sentiment de honte (Gaulejac, 1996) qui s’ajoute à des violences institutionnelles quotidiennes découlant de leurs statuts d’« acteur faible » (Payet, Guliani, Laforgue, 2008). Dans le contexte de violences domestiques, les travailleurs sociaux eux-mêmes peuvent être déchirés entre la considération des mères comme des victimes de violence, tout en leur reprochant de ne pas protéger leurs enfants de l’exposition à cette violence (Lapierre et Côté, 2011). La sur-représentation des parents apparaît lorsque la relation parent-enfant est analysée d’une manière limitée et limitative, sans une prise en compte du contexte de vie de l’enfant, notamment des conditions matérielles et des ressources disponibles, y compris chez des familles de classe moyenne. Les facteurs sociaux de danger (par exemple logement, insécurité alimentaire, manque de services adéquats) sont minimisés dans l’interprétation du danger avéré ou potentiel. Pourtant, les recherches internationales ont montré que la négligence découle d’interactions entre plusieurs facteurs. Elle se manifeste sur le plan de la relation parent-enfant où le parent, pour différentes raisons, y compris contextuelles, ne semble pas être disponible pour répondre aux besoins de l’enfant, mais aussi sur le plan social, car les parents concernés sont souvent isolés (Lacharité, Éthier & Nolin, 2006). Cet isolement social est l’un des facteurs de risque qui limite significativement les ressources et les capacités des parents à répondre aux besoins de l’enfant et aux situations éducatives, y compris les situations de crise.
La participation des parents implique également le fait d’être associée à l’éducation de l’enfant en situation de placement. Cependant, lorsque les relations entre le professionnel et le parent sont tendues, la mise à distance du parent peut conduire à la conclusion de sa non-coopération avec les professionnel.le.s. En conséquence, il serait plus rarement associé par les professionnel.le.s aux décisions liées à l’éducation de l’enfant. Les parents attendent le contraire, à savoir que le professionnel va les aider à maintenir les liens avec leurs enfants accueillis temporairement en institution ou en famille d’accueil. Cela se traduit et manifeste par l’information régulière et continue des parents sur la vie quotidienne de l’enfant dans son lieu de résidence, par l’envoi des photos de leurs enfants, et par la facilitation des relations avec les parents d’accueil. L’empathie devient cruciale dans ces situations. D’abord, pour que le retrait d’un enfant ne soit pas une punition pour les parents qui luttent contre nombreux facteurs qui les placent en situation de vulnérabilité, indépendamment de leur volonté.
Depuis l’institutionnalisation du travail social, ce dernier remplit à la fois une mission de contrôle social et d’aide. Ce paradoxe fondateur du travail social constitue un dilemme pour les travailleur.ses sociaux.ales dont l’intervention peut avoir un caractère punitif, tout en poursuivant le but de développer le pouvoir d’agir des parents et de renforcer l’autorité parentale sans porter préjudice à l’enfant. De plus, les professionnel.le.s sont amené.e.s à remplir la mission de protection de l’enfance dans des contextes d’incertitudes, des faits supposés et non avérés. Dans ce contexte, l’absence d’engagement parental peut renforcer le caractère plus coercitif de la part des praticien.ne.s qui ont la responsabilité de protéger l’enfant.
L’empathie, le dialogue autour du pouvoir institutionnel et le pouvoir d’agir de chaque acteur facilitent la participation et rendent les processus de prise de décisions plus transparents et ouverts. Car pour que la participation soit effective, elle nécessite que les participant.e.s s’écoutent, se répondent, réfléchissent et agissent ensemble, sans forcément réaliser les mêmes tâches. Le dialogue sur le pouvoir ne signifie pas que les travailleur.se.s sociaux.ales fuient la responsabilité de prendre des décisions. Au contraire, l’utilisation d’un tel dialogue relève de la responsabilité des travailleurs sociaux afin de promouvoir la participation des parents et de prendre des décisions sur la base de leur connaissance et expérience. Le dialogue basé sur le principe de réciprocité peut contribuer à rendre la pratique moins anxieuse, plus équilibrée et réfléchie et potentiellement moins oppressive (Turney, 2012).