Partie I – Outils pour penser la participation
Selon Godbout (1983, 35) « la participation, c’est le processus d’échange volontaire entre une organisation qui accorde un certain degré de pouvoir aux personnes touchées par elle et ces personnes, qui acceptent en retour un certain degré de mobilisation en faveur de l’organisation. Pour constituer un phénomène stable, la participation suppose un équilibre entre pouvoir et mobilisation ». En France, la participation des personnes accompagnées devient un levier de changement, voire de la démocratisation des services sociaux et médico-sociaux1 à partir de la promulgation de la loi du 2 janvier 200223. Cette dernière situe la participation en tant que droit et par la même change le paradigme organisationnel des services. Toutefois, les outils prescrits avaient besoin de temps pour être mis en œuvre. La lenteur de ce processus prouve que les outils et les approches centrées sur les usagers doivent faire partie de la culture institutionnelle pour que la participation soit un levier d’une gouvernance démocratique. C’est pour cette raison que le niveau de participation dépendra du contexte, de l’intérêt que la population exprime, de la tâche demandée, de la décision à prendre, des compétences individuelles, de la culture de participation présente dans l’organisation (Warrin, 2007).
À partir de l’expérience accumulée avec des structures socio-éducatives, Krause définit la participation comme « culture globale ». Rappelant qu’en Allemagne, la participation des enfants, des jeunes et de leurs parents est attendue par les règlementations depuis la loi de 1991, il s’appuie aussi sur son expérience de directeur et de formateur pour constater que les instances formelles de participation ne suffisent pas à leur donner réellement la parole. La participation, d’après lui, ne peut fonctionner dans les institutions que si elle s’applique de manière globale à tous les processus et toutes les personnes impliquées. Cela inclut aussi la capacité des employé.e.s, professionnel.le.s, intervenant.e.s à participer aux décisions qui les concernent, telles que la politique de l’institution, les conditions de travail au quotidien, les choix de recrutement, etc… (Krause, 2019).
En travail social, la démarche participative peut se situer au niveau de l’élaboration et du pilotage des politiques nationales et territoriales, au niveau du service ou de l’établissement et au niveau singulier de l’accompagnement proposé à la personne.
Du point de vue conceptuel et pratique, la participation est un concept polysémique qui a besoin à chaque fois d’être précisé et analysé dans son contexte. Dans la littérature scientifique et professionnelle, la définition plus large définit la participation comme une forme d’engagement social. Une définition plus spécifique fait référence à la participation aux processus de décision. Les échelles existantes visant à mesurer ou à estimer le niveau et la nature de la participation, notamment celle de Arnstein (1969) et celle de Hart (1992) ont inspiré beaucoup d’auteurs. Il en existe d’autres comme celle proposée en 1996 par Fourniau, Lacaze, Lafont, intitulée « Transparence des décisions et participation des citoyen.ne.s ». Dans le champ du travail social, le modèle holistique de Warren (2007) semble englober les échelles citées plus haut. L’auteure distingue :
- l’information donnée et reçue,
- consultation (prise en compte des points de vue),
- partenariat dans la prise de décision,
- pouvoir d’agir et contrôle sur l’action.
L’implication des usagers dans le système organisationnel peut se concrétiser à travers l’élaboration du projet personnalisé, du projet de service, peut être intégrée dans la gestion du service, dans le développement des projets menés par les professionnel.le.s et les usagers au sein des services.
Dans les écrits scientifiques sur la protection de l’enfance, il existe un large consensus sur l’importance de la participation des parents à l’aide proposée dans le cadre de la protection de l’enfance (IGAS, 2019). En France, cette participation est comprise ou vécue parfois comme une injonction imposée aux parents, aux professionnel.le.s et aux institutions qui formulent le mandat de protection. Cependant la participation au sens d’engagement perd son sens lorsqu’elle est imposée ou vécue comme telle. Les premiers écrits scientifiques qui abordent la participation en protection de l’enfance, souvent dans le cadre contraint, utilisent le concept d’engagement parental, en le définissant comme “une participation positive au processus de l’aide” (Yatchmenoff, 2005, 86). Cette participation est basée sur une relation interpersonnelle entre le parent et le travailleur, caractérisée par un sentiment de réciprocité et une bonne communication.
1 Dans d’autres secteurs des politiques publiques, la participation des personnes est apparue beaucoup plus tôt. On peut citer la loi LOV (Loi d’Orientation pour la Ville) de 1991 qui instaure la consultation de la population dans le cadre de la politique de la ville, la loi SRU de 2000 qui impose la concertation des habitants, la loi d’orientation de 1998 relative à lutte contre les exclusions qui obligent à engendrer « la parole » des usagers en situation d’exclusion.
2 Avant cette date, la loi du 6 juin 1984 a affirmé un certain nombre de droits des familles tels que le droit à l’information, le droit d’être consulté, le droit d’être assisté ou défendu, le droit à voir réviser régulièrement la situation, le droit de contester toute décision par des recours gracieux, hiérarchique ou contentieux, le droit d’être associé aux décisions concernant leur enfant lorsque celui-ci est placé sur décision judiciaire.
3 La loi du 5 mars 2007 place la participation en termes d’enjeu pour le parent dont l’enfant est accompagné en protection de l’enfance