Annexe II : Préconisations issues de la recherche COPA75 annexées au schéma parisien de prévention et de protection de l’enfance
Construire ensemble la politique parisienne de protection de l’enfance avec les parents d’enfants protégés
Ce document présente la synthèse d’une recherche développée en partenariat entre l’OPPE et le Centre de recherches en éducation et formation (Université Paris Nanterre)1 centrée sur la participation de parents d’enfants protégés à la définition de la politique parisienne de la protection de l’enfance.
Contexte : la participation des parents en protection de l’enfance
Dès 2001, le Conseil de l’Europe affirmait que « Ia participation des citoyens est au cœur même de l’idée de démocratie»2. Aujourd’hui, la participation des usagers se présente comme nécessaire au fonctionnement démocratique dans les politiques publiques, permettant d’en augmenter la légitimité, de mobiliser les citoyens et d’améliorer les services.3 La participation citoyenne serait « un levier essentiel pour: faire changer le regard des institutions sur les problématiques individuelles ou collectives; concevoir des dispositifs et des modes d’intervention plus cohérents et efficaces ; développer la capacité d’agir individuelle et collective des personnes. »4
Dans le champ de la protection de l’enfance en France, deux lois en particulier ont introduit l’obligation de participation des personnes concernées. La loi 2002-2 oblige les établissements médico-sociaux à mettre en place des instances formelles comme le Document individuel de prise en charge ou les Conseils de vie sociale afin de permettre une meilleure information et implication des enfants et parents dans la vie des établissements. La loi de 2007 introduit le Projet pour l’enfant, à élaborer avec les détenteurs de l’autorité parentale, « qui précise les actions qui seront menées auprès de l’enfant, des parents et de son environnement, le rôle des parents, les objectifs visés et les délais de leur mise en œuvre. » 5 A travers ces lois, ce sont les pouvoirs publics eux-mêmes qui définissent les instances de participation, charge aux institutions de se convaincre de leur intérêt et aux « usagers » de se sentir concernés. 6
Le paradoxe de la place des parents en protection de l’enfance, est que les parents doivent participer en tant qu’usagers ou représentants légaux d’usager, alors même qu’ils sont considérés incapables de protéger leur enfant, voire, à l’origine du danger. Ce statut rend difficile l’exercice des droits des parents en tant que citoyens face à l’institution. 7
C’est précisément cette contradiction qui s’exprime à travers les différentes recherches menées auprès de parents dont les enfants sont suivis, ou placés, par le système de protection de l’enfance. « Les parents d’enfants accueillis dans le cadre d’un placement judiciaire se considèrent rarement comme usagers d’un service public. L’impression d’être victime et de subir l’intervention des professionnels est plus communément partagée.»8 Les chercheurs mettent en avant la disqualification et la stigmatisation perçues à travers la décision de placement, parfois jugée comme injustifiée, et toujours ressentie comme une violence très forte9. En effet le placement de l’enfant blesse profondément les parents dans leur identité.10 Certains auteurs ont procédé à des catégorisations, montrant que les parents pouvaient coopérer et négocier avec les travailleurs sociaux ; s’opposer à la mesure et aux travailleurs sociaux ou encore se replier sur eux-mêmes ; ces différentes postures pouvant se succéder dans le temps.11
Les recherches font apparaitre que les parents n’ont souvent pas accès à leurs droits, par exemple qu’ils ne sont pas impliqués dans les actes non-usuels12 ou n’accèdent pas à leur dossier avant l’audience au tribunal. 13 L’expérience des parents, relayée par la plupart des auteurs cités ici, est qu’« on ne les écoute pas, on ne prend pas en compte ce qu’ils disent, voire on déforme leurs propos pour dresser des procès à charge. » 14
Au niveau européen, les recherches s’intéressant à l’expérience des parents en protection de l’enfance reflètent des difficultés semblables : les droits des enfants sont perçus comme prioritaires en Norvège15, alors qu’en Suède, « des situations de crise non reconnues, et la perception qu’avaient les parents d’eux-mêmes comme “non-méritants”, affectaient non seulement leur accès au soutien des services sociaux, mais aussi, leur capacité de participer au processus d’évaluation et à la planification du placement en famille d’accueil. » 16 Dans plusieurs pays, dont la France, il existe de nombreux exemples d’implication des parents dans la vie de leur enfant placé.17 La question de leur droit à participer en tant que citoyens, aux décisions et aux politiques les concernant, reste cependant peu abordée.
Une implication de tous les acteurs
Le processus mis en place entre janvier et septembre 2021 a impliqué également de nombreux services et professionnels parisiens ainsi qu’une équipe d’étudiantes du master Education familiale et interventions socio-éducatives en Europe (EFISE). Afin de mobiliser des parents pour cette démarche, un courrier signé par la directrice de la DASES a été envoyé à l’ensemble des parents, des conférences de lancement ont été organisées en ligne en plein confinement, un site internet a été créé, les professionnels des secteurs ASE et d’associations habilitées se sont mobilisés pour relayer les invitations, les liens internet, les questionnaires, etc. auprès des parents, et permis quelques réunions en présentiel pour les parents qui le souhaitaient.
En janvier 2021 un groupe d’une dizaine de parents volontaires a ainsi été constitué.
Il s’est réuni 6 fois entre janvier et juillet 2021, avec l’équipe de recherche, et a travaillé à :
- Réaliser un état des lieux au regard de leur vécu en tant que parents, en identifiant les points d’organisation, de fonctionnement ou d’accompagnement qu’ils estimaient comme soutenants ou faisant obstacle à l’exercice des droits et au bien-être de leur enfant ;
- Co-construire un questionnaire qui visait à recueillir le point de vue des parents sur leur connaissance du dispositif de protection de l’enfance, sur leur place dans les mesures, sur les droits, le bien-être et la participation de leurs enfants.
- Rédiger des recommandations dans le cadre du nouveau schéma de prévention et protection de l’enfance pour mieux tenir compte des droits et du bien-être des enfants et des parents en protection de l’enfance.
Le questionnaire, composé de 25 questions, a été diffusé le plus largement possible par le biais d’un lien internet, mais aussi sous format papier et par téléphone. Le CREF et l’OPPE ont monté un partenariat inédit pour permettre la passation du questionnaire dans les meilleures conditions. Plusieurs réunions ont été conduites par l’OPPE pour informer et mobiliser l’ensemble des responsables de secteur ASE chargée de suivre le parcours de l’enfant, l’ensemble des DG des associations de milieu ouvert (AED, AEMO, SAJE), et l’ensemble des responsables de service de TISF dans le secteur associatif. Par ailleurs, en sus du courrier envoyé aux familles en les informant du questionnaire mis en ligne avec QR code, des étudiantes du Master 2 EFISE sont allées dans les locaux de l’ASE pour proposer à des parents une passation en face à face du questionnaire. L’équipe de l’OPPE a également organisé des passations téléphoniques sur des créneaux horaires décalés : soirées et samedi.
105 parents ont répondu au questionnaire entre le 1er mai et le 30 juin, dont 42 ont au moins un enfant accueilli en dehors du domicile. Les premières analyses de ces réponses, ainsi que des travaux menés par le groupe de parents, ont permis de retenir et consolider les éléments suivants autour de 3 axes
Les apports de la recherche
La démarche de participation expérimentée dans cette recherche pour préparer le schéma parisien de protection de l’enfance 2021 a permis plusieurs avancées.
Une dynamique impulsée
Les parents ayant contribué aux travaux considèrent que la mise en place des recommandations retenues dans le schéma devrait également être suivie par des parents, au fil des 5 années couvertes par le schéma. Les parents mobilisés, véritables acteurs de cette démarche, sont prêts à poursuivre leur implication dans la perspective de contribuer à une dynamique de changement, en tant que parents et citoyens. La participation ne peut s’arrêter alors même que les effets sur les interventions ne sont pas vérifiés.
Des perspectives
La recherche a mis en lumière des mécanismes qui peuvent favoriser ou freiner la participation. Par exemple, l’anonymat et la confidentialité des échanges est primordiale. Le groupe de parents a systématiquement vérifié et validé les comptes-rendus de réunions avant qu’ils ne soient transmis aux autres acteurs de la co-construction.
Un document final reprenant l’ensemble des résultats, des limites, enjeux, et enseignements de cette recherche sera disponible courant 2022. Il sera diffusé, ainsi que les mises à jour sur ce projet, sur le site internet :
Hélène Join-Lambert, Séverine Euillet, Anna Rurka, Fabien Deshayes
Centre de recherches en éducation et formation
Université Paris Nanterre
Contact : copa75@liste.parisnanterre.fr
1 Les chercheurs impliqués sont H. Join-Lambert, S. Euillet, A. Rurka, F. Deshayes., maîtres de conférences en sciences de l’éducation et de la formation, membres de l’équipe éducation familiale et intervention sociale auprès des familles
2 Recommandation Rec(2001)19 du Comite des Ministres aux Etats membres sur la participation des citoyens à la vie publique au niveau local adoptée le 6 décembre 2001
3 Description of Co-Creation challenge in Horizon 2020 Inclusive Societies work programme (2016-17)
4 Haut Conseil du Travail Social (2019) Kit : participation citoyenne aux politiques de solidarités. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/kit_participation_citoyenne_hcts.pdf
5 Article L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles
6Argoud, D. (2017) L’institution peut-elle faire participer l’usager? Dans D. Argoud, M. Becquemin, C. Cossée, & A.-C. Oller, Les nouvelles figures de l’usager. De la domination à l’émancipation? 145-158. Rennes: Presses de l’EHESP ; Lacharité C., Sellenet C., & Chamberland C. (Eds) (2015). La protection de l’enfance : la parole des enfants et des parents. Québec : Presses de l’Université du Québec.
7 Chapeau, J. (2016) La participation institutionnelle à l’épreuve de la protection de l’enfance. Regards croisés sur les freins au développement de la participation collective des parents en protection de l’enfance. Université De Grenoble-Alpes.
8 Touahria-Gaillard, A. (2011). La force des liens dématérialisés. Associations de parents d’enfants placés, technologies de l’information et mobilisations. In M.-C. Bureau, & I. Sainsaulieu (dir.), Reconfigurations de l’Etat social en pratique : les interactions entre institutionnels, professionnels et citoyens dans le champ de l’intervention sociale. Presses Universitaires du Septentrion. pp. 265-280. p. 267.
9 Sécher, R. (2009). Reconnaissance sociale et dignité des parents d’enfants placés en protection de l’enfance. Université de Nantes: Thèse en Sciences de l’éducation. ; Boutanquoi, M., Ansel, D., & Bournel-Bosson, M. (2014). Les entretiens parents/professionnels en protection de l’enfance : construire la confiance, Rapport pour l’ONED. Besançon: Laboratoire de psychologie, Université de Franche-Comté.
10 Stettinger, V. (2019). Les « non-parents ». Ou comment on devient parent d’un enfant absent. Ethnologie française, 49, 407-419.
11 Delens-Ravier, I. (2001). Le placement d’enfants et les familles. Recherche qualitative sur le point de vue de parents d’enfants placés. Liège: Jeunesse et Droit. ; Mackiewicz, M.-P. (2002). Early Residential Foster Care : Parental Experiences Concerning Their Co-operation with Professional Workers. In E. e. Knorth, Professionalization and Participation in Child and Youth Care (pp. 201-211). Ashgate. ; Join-Lambert, H., Euillet, S., Boddy, J., Statham, J., Danielsen, I., & Geurts, E. (2014). L’implication des parents dans l’éducation de leur enfant placé. Approches européennes. Revue Française de Pédagogie, 187, pp. 71-80.
12 Touahria-Gaillard, A. (2011).
13 Renoux, M. (2019). Grande pauvreté et assistance éducative : faire évoluer les pratiques. Délibérée, 8, 67-71.; Cardi C. & F. Deshayes (2011), « Les effets de la loi du 2 janvier 2002 et du décret du 15 mars 2002 sur les pratiques professionnelles d’écriture en protection de l’enfance » Rapport pour l’ONED.
14 Kertudo, P., Sécher, R. & Tith, F. (2015). L’invisibilité sociale, publics et mécanismes : l’entourage familial des enfants placés dans le cadre de la protection de l’enfance. Recherche sociale, 216, 4-114.
15 Picot, A. (2020). L’implication des parents d’enfants placés en France et en Norvège. La revue internationale de l’éducation familiale, 47, 191-210.
16 Höjer, I. (2011). Parents with Children in Foster Care — How Do They Perceive Their Contact with Social Workers? Practice: Social Work in Action, 23:2, pp. 111-123.
17 Join-Lambert, H., Euillet, S., Boddy, J., Statham, J., Danielsen, I. & Geurts, E. (2014). L’implication des parents dans l’éducation de leur enfant placé. Approches européennes. Revue française de pédagogie, 187, 71-80.
18 Des recommandations similaires ont été formulées par le Défenseur des Droits de l’enfant : Défenseur des Droits (2019) Enfance et violence : la part des institutions publiques. Recommandations p. 92-93.
19 Décret n° 2004-1274 du 26 novembre 2004 relatif au contrat de séjour ou document individuel de prise en charge prévu par l’article L.311-4 du CASF
20 Article L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles
21 Article 1187 du Code de procédure civile et Article 223.21 du CASF : l’art. 223-21 oblige le président du conseil départemental à porter « le contenu et les conclusions du rapport à la connaissance du père, de la mère, de toute autre personne exerçant l’autorité parentale, du tuteur et du mineur, en fonction de son âge et de sa maturité. Lorsque ce rapport est transmis à l’autorité judiciaire, cette démarche est faite préalablement. »