Quelle prise en compte des jeunes LGBTQIA+ dans le cadre de la protection de l’enfance ?

Enfants, jeunes LGBTQIA+ : une préoccupation des chercheur·es en éducation familiale

Ce site présente les activités relatives à un programme de recherches universitaires mené par l’équipe Efis du Centre de recherche Éducation et Formation de l’Université de Paris Nanterre

De nombreux évènements médiatisés ont permis d’alerter l’opinion publique française sur les discours discriminatoires voire haineux envers les personnes LGBTQIA+ en France et à l’étranger et sur les actes de homophobie et transphobie commis sur des enfants et des adolescents : à l’école, dans des services publics ou au sein d’institutions spécialisées. Le stress chronique (stress de minorité) que les enfants et les jeunes LGBTQIA+ vivent au quotidien demeure un angle mort, tant d’un point de vue politique que d’un point de vue académique. L’absence de discussion et la rareté des connaissances scientifiques renforcent le risque de discrimination, son intériorisation par les personnes et peuvent également provoquer un déficit ou une inadéquation des réponses aux besoins et aux droits fondamentaux et spécifiques des enfants et des jeunes.

Si ces questions émergent dans la sphère médiatique et publique elles restent encore, en France, peu explorées par les chercheurs. Si ce sujet émergent peu à peu dans la littérature scientifique française, des travaux internationaux renseignent sur les multiples défis auxquels les jeunes LGBTQIA+ pris en charge peuvent être confrontés. De plus en plus de recherches démontrent que les jeunes s’identifiant comme lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres, allosexuels ou en questionnement (LGBTQ) sont surreprésentés dans les systèmes publics de protection de l’enfance[1]. Des enquêtes ponctuelles montrent qu’une partie des situations de violences subies ayant conduit à la situation de danger dans le milieu familial trouvent leur origine dans cette identification ou ce questionnement LGBTQIA+ de la part du jeune ; en outre, durant la protection, ces jeune peuvent subir d’autres formes de violences, directement commises (ex : rejet de la famille d’accueil ou d’autres professionnel.les, violences par les pairs…) ou indirectement, faute d’adaptation des cadres de protection (ex : manque de formation des professionnel.les, carence d’espace d’écoute, prise de décision inadaptées de la part des professionnel.les mais aussi des parents toujours détenteurs de l’autorité parentale donc devant signifier leur accord pour les actes non usuels…). 

Ainsi, selon Mallon (2019), les praticiens éprouvent des difficultés à reconnaître la présence des jeunes LGBTQIA+ dans le système et ce, pour plusieurs raisons liées aux stéréotypes de genre, à l’invisibilisation de ce public, aux positionnements des praticiens ou encore à un déficit de connaissances et de formations[2]

Aux États-Unis, des chercheurs ont interrogés 659 jeunes de 13 à 20 ans par questionnaire[3]. Les résultats révèlent quelques-uns de ces défis. S’agissant du parcours de ces jeunes, l’étude montrent une entrée plus tardive dans le dispositif de protection de l’enfance et un parcours de placement marqué par un plus grand nombre de changement de lieux d’accueil. Les jeunes seraient également plus souvent accueillis au sein d’établissements collectifs. Les jeunes interrogés se disent moins satisfaits de leur placement et considèrent avoir peu de contrôle sur leur parcours et leur histoire. Les auteurs constatent que les jeunes ont plus d’expérience d’errance, ce qui rejoint les résultats d’autres travaux internationaux. Une revue de littérature réalisée en 2016[4] fondée sur l’étude de 116 documents fait le constat que dans 90 documents analysés, les adolescents LGBTQ disent avoir été victimes d’un traitement négatif de la part d’au moins une personne (professionnels, parents, pairs…). De plus, 66 articles évoquent la stigmatisation, les abus et du harcèlement comme autant d’expériences de vulnérabilités vécues par ces jeunes. L’errance, les comportements à risque sexuel, la consommation et l’abus d’alcool et d’autres drogues, les idées suicidaires et les tentatives de suicide sont également mis en avant. 

« Les jeunes LGBTQ sont plus susceptibles d’avoir des expériences négatives dans le système de protection de l’enfance, car ils sont moins susceptibles d’atteindre une autonomie (Mallon, 2011); plus susceptibles d’avoir plusieurs placements (Mallon, Aledort et Ferrera, 2002); plus susceptibles d’être victimes d’abus sexuels (Shpiegel et Simmel, 2016; Mitchell, Panzarello, Grynkiewicz et Galupo, 2015) et de faire face à la discrimination, y compris le harcèlement et la violence dans les placements de groupe (Mallon, 2001) » (Annie E. Casey Fondation, p.3).  

Une recherche néerlandaise[5] a exploré le point de vue de jeunes LGBTQIA+ pris en charge en protection de l’enfance et des proches (familles, pairs et praticiens) qui les entourent. Les connaissances produites et les questions soulevées par les auteurs concernent à la fois expériences des jeunes mais également celles des praticiens, tout autant que les défis méthodologiques et éthiques que de telles recherches recouvrent. Les résultats montrent la nécessité de soutenir les organisations et les praticiens afin de garantir un environnement favorable pour les jeunes LGBTQIA+. Bien que la plupart des recherches internationales menées auprès des jeunes LGBTQIA+ pris en charge hors du domicile se sont concentrées sur la description des épreuves, obstacles et des résultats négatifs (en termes de participation, de bien-être, de protection), peu de recherches ont porté sur la capacité de ces mêmes jeunes à utiliser des ressources individuelles, relationnelles et communautaires pour surmonter les défis repérés. Les résultats d’une revue de littérature suggèrent que les jeunes pris en charge en protection de l’enfance disposent de ressources et de capacité de résilience leur permettant de s’épanouir malgré les adversités auxquelles ils.elles sont confronté.es.[6]

Les connaissances et ressources existantes ont majoritairement été produites dans des contextes internationaux, laissant supposer que le contexte politique, juridique et social colorent significativement les expériences explorées.

Face à ces constats, l’équipe Efis étudie, dans un vaste programme de recherche composé de plusieurs projets de recherche, distincts mais complémentaires, les expériences, pratiques, difficultés rencontrées dans l’accompagnement des jeunes LGBTQIA+ en protection de l’enfance et plus globalement dans le champ du travail social. L’objectif est de repérer les questions que se posent les principaux·ales acteurs et actrices, les défis auxquels ils et elles sont confronté·es au quotidien et les pratiques permettant d’y faire face.


Phase 1 – Une recherche auprès des travailleur·euses sociaux·les

Parmi les initiatives entreprises dans le cadre de ce programme, nous avons proposé aux travailleuses et travailleurs sociaux ainsi qu’aux professionnel·les exerçant dans le champ socio-éducatif une recherche exploratoire par le biais d’un questionnaire en ligne*. Nous les avons invité à partager leurs expériences, leurs questions, leurs réussites et des éventuelles difficultés rencontrées dans l’accompagnement quotidien de jeunes LGBTQIA+. Nous avons collecté plus de 600 réponses auprès des professionnel·les exerçant en France et en Italie

*accessible en français, anglais, espagnol, italien, polonais, portugais

Phase 2 – Une recherche auprès de jeunes pris·es en charge ou accompagné·es par des institutions

L’objectif de la recherche est, dans une démarche véritablement co-constructive, de connaître et d’analyser l’expérience vécue de jeunes, se considérant aujourd’hui LGBTQIA+, lorsqu’ils étaient ou/et continuent à être accompagnés·es par un dispositif de protection de l’enfance.

Cette recherche se déroulera en plusieurs étapes : 

  1. Constitution d’un comité de suivi composé d’une dizaine de jeunes (16-30 ans, avec autorisation écrite des détenteurs de l’autorité parentale pour les mineurs) intéressé·es par la question LGBTQIA+ en protection de l’enfance. 
  2. Première réunion du comité à l’Université Paris Nanterre : Connaissance, présentation approfondie du rôle du comité et audition (éventuellement par visioconférence) d’associations œuvrant en PE et dans la défense des droits des jeunes LGBTQIA+ par ce comité de suivi.
  3. Deuxième et troisième réunion : élaboration recherche « Jeunes LGBTQIA+ et PE » (deuxième phase du programme de recherche « Quelle prise en compte des jeunes LGBTQIA+ dans le cadre de la protection de l’enfance ? » : objectifs, méthode, démarche éthique et RGPD. 
  4. Mise en œuvre du projet.
  5. Publication d’article et, éventuellement (à voir avec comité), organisation d’un événement. 

Phase 3 : Projet de recherche et de formation/enseignement Erasmus+

Se fondant sur l’expérience des projets Erasmus + de membres de l’équipe (Anna Rurka a dirigé un projet Erasmus + en 2009 et a supervisé plusieurs autres menés par les collègues enseignants) et Gilles Séraphin a piloté le projet Erasmus+ Interpro 2018-2022), l’objectif est de déposer en 2024 un projet international Erasmus+ visant à élaborer des outils de formation des professionnel·les européen·nes aux questions LGBTQIA+ en protection de l’enfance. Le projet Erasmus+ regroupera plusieurs bénéficiaires, chercheur·es, enseignant·es, professionnel·les, représentants de la société civile et étudiant·es de divers pays européens du sud, du nord et de l’est, en plus de la France. Les outils élaborés seront en libre-accès.

Parallèlement à l’élaboration d’outils de formation des professionnel.les, nous mènerons des actions de sensibilisation des acteurs institutionnels (CNPE, Gipea, ONPE, CD, Fédérations associatives, etc.) 

[1] Washburn, M., Good, M., Lucadamo, S., Weber, K., Bettencourt, B., & Dettlaff, A. J. (2018). Yes We Can Allegheny: Implementing SOGIE Inclusive System Improvements in Child Welfare. Child Welfare96(2), 99–124

[2] Mallon, G. P. (2019). LGBTQ Youth Issues. A practical guide for youth workers serving lesbian, gay, bisexual, transgender, & questioning youth. CWLA Press. 

[3] Sandfort, T. (2020) Experiences and Well-Being of Sexual and Gender Diverse Youth in Foster Care in New York City.

[4] Annie E. Casey Findation (2016) LGBTQ in Child Welfare : a systematic review of the literature. Accessible en ligne à l’adresse URL : https://assets.aecf.org/m/resourcedoc/aecf-LGBTQ2inChildWelfare-2016.pdf

[5] López López, M., González Álvarez, R., ten Brummelaar, M., van Mierlo, K. R. O., & Wieldraaijer-Vincent, L. (Éds.). (2021). Working with LGBTQIA+ youth in the child welfare system: Perspectives from youth and professionals. University of Groningen Press. https://doi.org/10.21827/60e5a36110a93

[6] Álvarez, R. G., Parra, L. A., ten Brummelaar, M., Avraamidou, L., & López, M. L. (2022). Resilience among LGBTQIA+ youth in out-of-home care : A scoping review. Child Abuse & Neglect129, 105660. https://doi.org/10.1016/j.chiabu.2022.10566