4 -Enjeux socio-numériques de la participation des parents en protection de l’enfance
L’utilisation du numérique en travail social relève des régulations législatives générales qui protègent tout un chacun. La loi n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi du 6 août 2004 définit des droits pour les personnes et des obligations pour les gestionnaires de fichiers qu’ils soient ou non informatisés. La loi de 2004 a créé la Commission nationale informatique et Libertés qui veille au respect de la vie privée et des droits de chacun dans le monde numérique. Le règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD) vise à protéger les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques, et en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel. (25 mai 2018)
En 2019, les Haut Conseil du Travail Social (HCTS 2019) constate que l’accompagnement social et éducatif fait appel aux outils numériques dans de multiples domaines comme : les services en ligne des administrations permettant l’accès et le maintien des droits, les outils de communication à distance permettant le maintien de liens familiaux, sociaux, professionnels.
L’usage du numérique dans l’accès à l’information n’est plus à démontrer. Pendant la pandémie, en plus des sites internet, les réseaux sociaux et les applications de communication type WhatsApp ont été utilisés notamment lors des contacts entre les professionnel.le.s et les jeunes, tandis que des outils de visioconférence ont permis aux enfants confiés de voir leurs parents et réciproquement. Les expériences et les effets découlant de cette expérience ont été variés. De nombreux parents n’ont pas pu voir les enfants accueillis, car les droits de visite n’ont pas été respectés, ont été suspendus ou encore très raccourcis. Par ailleurs, la recherche de Potin (2021) au sujet de l’usage des réseaux sociaux dans le maintien des relations avec les familles et les amis a montré les nombreux défis que l’usage de ces réseaux pose à l’intervention socio-éducative. En ce qui concerne la participation des parents dans l’éducation des enfants placés, les chercheurs soulignent (Henaff, Potin, & Sorin, 2021, 34) que « l’absence de concertation des acteurs éducatifs (professionnel.le.s et parents) pose la question de la prise en compte de l’expérience numérique de l’enfant placé et de sa capacité à faire face aux exigences numériques de la vie sociale et professionnelle à l’issue de la mesure et à la sortie des dispositifs de protection ». Dans le cadre de son doctorat, Caroline Maupas a réalisé une recherche ethnographique avec quatorze mois d’immersion dans quatre services de protection de l’enfance en France, complétés par cinquante-trois entretiens compréhensifs. Les résultats de cette recherche témoignent du fait que de nombreux parents investissent l’équipement numérique (smartphone, tablette, etc.) dans les premiers mois du placement de leurs enfants, ils en achètent aussi un pour leurs enfants s’ils n’en avaient pas. Ces technologies pourront aussi permettre aux parents de réaffirmer leur rôle auprès de l’enfant placé. Via les contacts réguliers, parfois non réglementés, les parents participent à l’éducation et apprennent sur le quotidien des enfants directement d’eux. L’obtention d’informations sur le quotidien des enfants est une forme d’engagement parental et démontre l’intérêt des parents pour la vie de l’enfant. « Il s’agit donc d’une forme de résistance vis-à-vis de l’institution, mais aussi une résistance face à son statut de parent en difficulté, refusant de dépendre des professionnel.le.s pour avoir des nouvelles de son enfant » (Maupas, 2019, 39).
Les connaissances produites sur l’usage des outils socio-numériques pour renforcer l’engagement parental dans l’éducation des enfants accueillis, ainsi que les expériences de travail et de concertation pendant la pandémie (audition, réunions en visio avec les parents), constituent une bonne base pour pouvoir projeter la participation numérique des parents aux décisions concernant la famille et à la planification des services en protection de l’enfance. En ce qui concerne la participation des enfants, les parents peuvent servir à la fois de facilitateurs (ang. gatekeeper) de cette participation ou d’obstacles, selon le contexte.
Les normes internationales relatives à la participation civile aux prises de décisions à l’échelle de politiques publiques stipulent que la participation numérique ne peut pas remplacer la participation en face à face, elle peut la compléter (Conseil de l’Europe 2017)1. Les experts sont d’accord pour dire que les outils numériques sont un complément efficace pour atteindre des publics inaccessibles en face à face (par exemple les personnes ayant un emploi du temps chargé). Les outils en ligne permettent aux participants d’apprendre et de contribuer d’une manière adaptée à leurs intérêts et au temps dont ils disposent. Les participations online ou offline ont toutes deux leurs points forts, et il convient d’en tirer parti. Bien sûr, certains contextes ne sont pas appropriés pour les outils numériques, comme dans les situations de conflit ou avec les personnes qui ont un faible accès à Internet.
Nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour la reconnaissance du droit à l’accès à internet comme un droit fondamental de la personne. En premier lieu, cette discussion concerne les situations où l’accès à internet est limité pour des raisons politiques. Cependant, le fait d’admettre ce droit comme un droit fondamental relevant des droits humains inclura les préoccupations des personnes qui sont exclues du monde numérique pour des raisons socio-économiques. Les droits numériques sont devenus une nécessité à l’ère de la gouvernance digitale. Dans de nombreux pays, les systèmes de protection et de l’aide sociale sont de plus en plus pilotés par des données et des technologies numériques qui sont utilisées pour automatiser les décisions et prédire les orientations à l’échelle des politiques publiques et des institutions. La protection de l’enfance est aussi concernée.