3 – Les leçons de COPA 75 concernant la participation des parents
Le processus mis en œuvre ici, au-delà de la recherche concernant l’expérience vécue par les parents et les pistes d’amélioration du dispositif parisien de protection de l’enfance, a constitué aussi une expérimentation sur des modalités de la participation des parents, en tant que citoyens concernés par une politique publique, à la construction de cette politique. Plusieurs éléments sont à retenir de cette démarche.
3-1 Informations collectives adressées aux parents
La question de la communication collective est apparue comme primordiale pour la participation des parents.
À deux reprises, il a été nécessaire de diffuser des informations sur ce projet auprès de l’ensemble des parents dont un enfant était suivi dans le cadre d’une mesure de protection de l’enfance. Dans un premier temps, tous les parents concernés étaient invités à participer au groupe de travail. Dans un deuxième temps, ils étaient tous invités à remplir le questionnaire. À chaque fois un travail considérable a été entrepris par l’OPPE, en lien avec la Direction de l’Action Sociale, de l’Enfance et de la Santé, pour faire parvenir ces invitations et tous les renseignements utiles aux parents, par plusieurs moyens1. Malgré cela, il est apparu par la suite que des parents, qui auraient été intéressés, n’ont pas reçu ces informations. De même, alors qu’un document d’accueil existe à l’intention des parents, plusieurs membres du groupe n’en avaient pas connaissance avant cette recherche.
Cela interroge la capacité de l’institution à communiquer de manière collective et systématique avec les personnes concernées. Une telle communication semblerait pourtant nécessaire pour s’assurer que les personnes aient, de manière équitable sur tout le territoire de la Ville, connaissance du fonctionnement de la protection de l’enfance, des procédures auxquelles elles sont ou pourraient être soumises, de leurs devoirs et de leurs droits lors de ces procédures, et des ressources qui sont à leur disposition en termes social, médical, scolaire, etc.
3-2 Réciprocité et transparence
Parmi les informations données aux parents au début de ce processus, il était important de bien expliquer les activités prévues et les objectifs visés. Bien que les chercheur.e.s aient clarifié que ce projet ne pourrait pas faire changer les situations individuelles à court terme, cette attente, ou cet espoir, est resté présent pour certains parents.
Par ailleurs, de la même manière qu’un engagement était demandé aux parents pour cette co-construction, les chercheur.e.s et la Ville de Paris ont pris des engagements vis-à-vis des parents. Il s’agissait pour commencer, de respecter les règles d’éthique d’usage lors d’une recherche universitaire2 : garantir le libre consentement des personnes, ainsi que leur anonymat et la confidentialité de leurs propos, qui ne seraient levés qu’avec leur accord. Mais s’agissant d’une co-construction, l’engagement a aussi été pris que les résultats de leurs travaux figureraient dans le schéma parisien de la protection de l’enfance et qu’il serait tenu compte de leurs propositions. Ce dernier engagement a fait l’objet de beaucoup de doutes chez les parents, jusqu’à la finalisation du schéma comprenant leurs propositions. Pourtant, la réciprocité des engagements était un élément central dans la motivation des parents et la confiance qu’ils ont progressivement accordée aux chercheur.e.s et aux représentantes de l’Observatoire.
Un autre élément central pour développer et préserver la confiance dans les chercheur.e.s et dans le processus de co-construction, tenait aux modalités d’élaboration des compte-rendu des réunions du groupe. Lors de chaque réunion entre janvier et juillet 2021, une étudiante prenait des notes détaillées, qui étaient ensuite synthétisées par une chercheure puis transmises aux parents, par message électronique et sur papier lors des réunions en présentiel. Certains leur ont été envoyés par la poste avant les réunions. Ainsi les parents pouvaient demander à compléter et modifier les compte-rendu. Ce n’est qu’après ce travail que les compte-rendu étaient transmis à l’Observatoire qui s’appuyait dessus dans la préparation du schéma3. De la même manière, le questionnaire, les fiches et la synthèse concernant les parents dans le schéma ont été relus et en partie réécrits avec les parents. Cela a conduit par exemple, à restreindre l’utilisation de l’écriture inclusive dans le questionnaire.
Ainsi, les parents pouvaient s’assurer que leurs témoignages et leurs propositions étaient transcrits sans les trahir. Cette pratique, certes coûteuse en temps, a été très bénéfique puisqu’elle a permis aux parents de se retrouver dans ces résultats et aux chercheur.e.s et à l’Observatoire, de mieux identifier des points que les parents jugeaient importants.
3-3 Accorder les temporalités
Pour les différents acteurs en présence, cette co-construction ne représentait pas les mêmes enjeux, ils n’y associaient pas les mêmes objectifs ni la même temporalité. Ainsi, l’Observatoire répondait avant tout à une injonction règlementaire sous la responsabilité de la Ville de Paris, alors même qu’un retard d’un an s’était déjà accumulé en raison de la crise sanitaire4. Les délais étaient donc très restreints et l’essentiel des activités de l’Observatoire sur l’année 2021 était dédié à la préparation du Schéma.5 Les chercheur.e.s ont intégré ce projet à leur programme de recherche, en complément d’autres projets de recherche, des activités de communication et de publication. Mais la recherche ne constitue, au mieux, que la moitié de leurs missions d’enseignant.e.s-chercheur.e.s. Ainsi, ce projet était mené de front avec de nombreuses autres tâches et responsabilités. De même, les étudiantes et les professionnel.le.s du groupe ressource avaient beaucoup d’autres tâches à accomplir et ne pouvaient contribuer que très ponctuellement à ce projet, malgré le grand intérêt qu’ils y portaient.
Parmi les parents, la majorité travaillait, au moins pendant une période de la recherche, et le projet COPA75 ne faisait pas du tout partie de leurs missions professionnelles. Leur participation se faisait donc sur des temps qu’ils libéraient auprès de leur employeur (les pauses repas ou les samedis après-midi, par exemple), mais aussi sur des temps où ils n’avaient aucune obligation vis-à-vis des services de protection de l’enfance, ou encore aucune visite avec leurs enfants. Certains parents, dont les enfants vivaient avec eux, ont participé seulement aux premières séances. Un autre a cessé de participer lorsqu’il a repris un emploi. Enfin, un parent, vivant des situations d’emploi et de logement visiblement très instables, auquel il était impossible d’anticiper son emploi du temps à quelques jours, n’a pu participer à aucune réunion, malgré les différentes tentatives de trouver un moment compatible.
Ces détails illustrent le décalage entre les différentes temporalités dans lesquelles a été vécue cette co-construction. Cela a nécessité une grande disponibilité de la part de toutes et tous, afin de trouver des temps et des espaces de travail collectif. C’était une autre condition essentielle à la participation des parents au projet COPA75.
Pour une participation plus large, notamment de parents vivant des situations précaires, qui constituent une grande proportion des parents suivis en protection de l’enfance (Dorla, 2021), ou maîtrisant peu le français, d’autres dispositions auraient probablement dû être prises. En particulier, cela aurait nécessité un temps plus long afin de pouvoir entrer en contact, mais aussi de trouver des modes de communication permettant un travail collectif.
Cependant, les éléments ayant favorisé la participation des parents, listés ici, ont contribué au bon déroulement de cette recherche expérimentale et aux résultats présentés dans ce rapport. Ils peuvent être repris et développés dans d’autres contextes de co-construction, ou de pratiques participatives.
1 Voir Partie I, paragraphe 7.3.2. de ce rapport
2 Le projet de recherche a été visé par le comité d’éthique de l’Université Paris Nanterre
3 Voir partie I, paragraphe 7.3.4 de ce rapport
4 Le précédent schéma étant prévu pour les années 2015-2020, celui-ci aurait dû être voté dès 2020 et non fin 2021 comme cela a été le cas.
5 Voir partie III, paragraphe 4.1. de ce rapport