L’impact des réseaux sociaux sur les dérives sectaires en France. Analyse des trajectoires individuelles des jeunes
Thèse préparée par Boukhalfa AIT HOCINE, co-dirigée par Gilles Séraphin (Efis/Cref/UPN) & Ismaïl Ferhat (CETS/Cref/UPN).
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En France, ni la Constitution ni la loi ne définissent précisément le terme « secte », conformément aux principes de laïcité et de séparation entre l’État et les religions. Bien que certains mouvements étaient déjà présents en France depuis fort longtemps, sans causer de troubles à l’ordre public, la lutte contre les dérives sectaires remonte à 1974 (Ollion, 2017). Dorénavant, la Puissance publique combat les dérives sectaires en s’appuyant sur le dispositif juridique français et européen, ainsi que sur un réseau d’associations qui préviennent des mouvements sectaires, accompagnent les familles et personnes concernées, informent le grand public des dangers de l’emprise. Le dispositif juridique français intervient à la fois pour sanctionner les infractions constatées et pour prévenir les dérives potentielles. Il s’est renforcé notamment à travers la loi dite About-Picard du 12 juin 2001[1], et celle du 10 mai 2024[2] qui crée un nouveau délit d’abus de faiblesse sectaire.
Le thème des dérives sectaires se situe à l’intersection de nombreuses disciplines telles que la médecine, la psychologie, la psychiatrie, l’anthropologie, l’histoire ou la sociologie. Bien que largement documenté, il reste peu exploré sous l’angle des sciences de l’éducation et de la formation.
Cette recherche doctorale s’intègre dans le projet de recherche partenarial soutenu par la DGCS (Direction générale de la cohésion sociale) et la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) intitulé : « Les enfants victimes de dérives sectaires : dénombrer et comprendre ». La Miviludes, créée en 2002 pour observer et analyser le phénomène sectaire, a remplacé la MILS (Mission interministérielle de lutte contre les sectes), fondée en 1998 dans le même objectif.
Il a pour objectif de comprendre l’impact des réseaux sociaux sur les dérives sectaires en France, en effectuant une analyse des trajectoires individuelles de jeunes qui ont été impliqués dans des sectes.
Pour comprendre les différentes modalités et pratiques mises en œuvre par les mouvements sectaires dans le recrutement des enfants, puis leurs parcours une fois sous emprise et éventuellement lors de leur « affranchissement », nous nous appuyons sur le concept de « carrière » tel qu’il est utilisé par le sociologue Howard Becker dans son ouvrage Outsiders: Studies in the Sociology of Deviance paru en 1963 qui analyse notamment les fumeurs de marijuana. Ce concept a également été appliqué à d’autres domaines, comme l’analyse de l’anorexie chez les jeunes filles (Darmon, 2008). Le choix de ce concept repose sur les modèles séquentiels des différents types de comportements que nous pouvons analyser dans le temps.
En tant que processus, la carrière reflète une évolution. Lorsqu’il est appliqué aux situations des enfants concernés par l’emprise sectaire, ce concept permet d’identifier des séquences précises, ainsi que des moments qui peuvent apparaître comme des étapes incontournables ou des événements (biographiques, historiques, etc.) ayant conduit à l’intégration dans un mouvement sectaire. Analyser le parcours des enfants en adoptant le concept de « carrière » comme un processus chronologique dans ce projet se concentre sur la manière dont ces enfants ont vécu l’emprise mentale et les changements qui en découlent, puis éventuellement les processus d’affranchissement.
[1] La loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 (dite loi About-Picard) vise à « renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ». Elle détermine les conditions dans lesquelles l’abus frauduleux de l’état de faiblesse d’une personne en situation de sujétion psychologique est caractérisé et réprimé. Ce texte a été codifié aux articles 223-15-2 à 223-15-4 du Code pénal.
[2] La loi n° 2024-420 du 10 mai 2024, adoptée pour renforcer la lutte contre les dérives sectaires et améliorer l’accompagnement des victimes, introduit plusieurs avancées importantes dans le droit pénal et dans les dispositifs de protection et de prévention.
Bibliographie :
Becker, H. S., Briand, J.-P., & Chapoulie, J.-M. (2016). Outsiders : Études de sociologie de la déviance. Éditions Métailié.
Blisko, S. (2017). Menaces sur la santé : L’explosion des dérives sectaires. Les Tribunes de la Santé, 55(2), 63-67.
Caffes. (2023). L’intérêt de l’enfant à l’épreuve du phénomène et des dérives sectaires.
Caffes. (2023). Rapport d’activité 2023.
Caffes. (2024). Guide discriminations sexuelles et de genre et emprise sectaire.
Caffes. (2024). Guide du travailleur social face aux dérives sectaires.
Caffes. (2024). Guide santé et bien-être : Les dérives thérapeutiques à caractère sectaire.
Caffes. (2024). Guide sport et dérives sectaires.
Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM). (2016). Détournement de méninges : Le livre noir de l’emprise psycho-spirituelle.
Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM). (2016). Le silence des bergers : Hypocrisie, fuite et silence !
Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM). (2021). Le phénomène sectaire : Analyser et comprendre l’emprise mentale.
Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM). (2022). Le psycho-spirituel mis à nu : De la blessure psychologique aux thérapies psycho-spirituelles. Enquête.
Darmon, M. (2008). Devenir anorexique : Une approche sociologique. La Découverte.
Derocher, L. (2011). Vivre son enfance au sein d’une secte religieuse : comprendre pour mieux intervenir. Presses de l’Université du Québec.
Derocher, L. (2015). Intervenir auprès de sectes religieuses en protection de la jeunesse : un défi. Presses de l’Université du Québec.
Derocher, L. (2018). Intervenir auprès de groupes sectaires ou de communautés fermées : s’outiller pour protéger les enfants. Presses de l’Université du Québec.
Derocher, L. (2022). Ces enfants oubliés : Grandir dans une communauté sectaire. Éditions de l’Homme.
Esquerre, A. (2009). La manipulation mentale : Sociologie des sectes en France. Fayard.
Fournier, A., & Monroy, M. (1999). La dérive sectaire. Gallica.
Genevois-Malherbe, P. (2012). Les majeurs protégés en France : dénombrement, caractéristiques et dynamique d’une sous-population méconnue.
Ollion, É. (2017). Raison d’État : Histoire de la lutte contre les sectes en France. La Découverte.
